Sans l’Amazonie, il n’y a pas de solution à la crise climatique. Sans solution à la crise climatique mondiale, il ne sera pas possible de sauver l’Amazonie. C’est pourquoi, depuis le XIe FOSPA (Forum social panamazonien), nous appelons nos sœurs et nos frères de tous les continents à construire un accord pour la vie face à l’effondrement climatique et écologique de la planète. Un accord à partir de la base, en minga, à partir de nos sentiments et de nos pensées dans un travail collaboratif, pour réaliser la demande urgente de «changer le système capitaliste et non le climat», pour construire des territoires libres d’extraction pétrolière, d’exploitation minière, de déforestation, d’agro-industrie, de pollution, de fausses solutions, de libre-échange, de racisme, de colonialisme, de transgéniques, d’agrotoxiques, de mégaprojets d’infrastructure, de violences multiples, de militarisation, de génocides et de terricides. Un Accord Systémique qui reprenne les pratiques ancestrales de production alimentaire qui sont réalisées dans des territoires comme l’Amazonie, et qui étende nos alternatives de souveraineté territoriale, alimentaire et énergétique, en promouvant les avancées obtenues dans le référendum de Yasuní en Équateur, dans la déclaration de Palos Blancos comme municipalité bolivienne agro-écologique libre d’exploitation minière, dans la mobilisation pour un Panama libre d’exploitation minière, et dans la lutte contre tous les types de génocide, comme celui subi par le peuple palestinien.
L’Accord de Paris a échoué. D’ici 2023, les gouvernements ne réduiront qu’un dixième des 24 gigatonnes que nous devons réduire à l’échelle mondiale pour freiner la hausse des températures qui a déjà dépassé 1,5°C en 2023. La mainmise des entreprises sur les négociations climatiques cherche à dissimuler les avertissements urgents de la communauté scientifique selon lesquels nous entrons dans un territoire inexploré où prédominent des événements climatiques extrêmes et imprévisibles. Les conférences des parties sur le changement climatique parlent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais n’établissent pas d’engagements contraignants pour réduire les combustibles fossiles, la déforestation et la transformation des modes de production, de consommation et de distribution non durables. Cette omission n’est pas accidentelle car les gouvernements de la planète sont capturés par la logique du capital et ne cherchent pas à opérer une transition pour surmonter le système capitaliste, extractiviste, patriarcal et irrationnel de la modernité.
Nous sommes conscients de la diversité des stratégies et des initiatives contre la crise climatique. Nous reconnaissons les efforts de ceux qui, pendant des décennies, se sont concentrés sur l’obtention de progrès dans les négociations des Conférences des Parties sur le changement climatique, mais il est clair aujourd’hui que les solutions réelles et efficaces viendront de nos luttes, de nos territoires, de notre expérience, de notre capacité d’autogestion et de nos alternatives.
Nous proposons à tous les mouvements sociaux et organisations de la planète de construire un Accord systémique, afin qu’ensemble :
- Promouvons les actions de mobilisation pour stopper les nouveaux investissements, les explorations et les exploitations de pétrole, de charbon et de gaz naturel. Dans la région amazonienne, les champs pétroliers augmenteront de 13 % entre 2012 et 2020, occupant 9,4 % de la zone amazonienne, couvrant plus de la moitié de l’Amazonie en Équateur et environ un tiers dans le cas du Pérou et de la Colombie. Pour nous, la lutte contre l’expansion pétrolière, la désinstallation des exploitations pétrolières et la réparation de la nature et des peuples affectés est une lutte pour la survie. Il n’y a plus de temps à perdre si nous voulons éviter les points de non-retour sur la planète. Nous avons besoin d’engagements contraignants et obligatoires de la part de chaque pays, et en particulier des grandes puissances mondiales, pour réduire de 21 gigatonnes les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
- Arrêtons la déforestation des forêts en exerçant nos droits sur nos territoires, nos espaces de vie et notre capacité d’autogestion. Mobilisons-nous le plus largement possible pour : (a) annuler et abroger les réglementations nationales qui encouragent et permettent la déforestation et les incendies de forêt, (b) établir des réglementations strictes sur les activités qui causent la déforestation, y compris des sanctions, des contrôles et des études d’impact environnemental cumulatives et complètes, (c) titrer/démarciser les terres et territoires des peuples autochtones et autres communautés traditionnelles, (d) restituer aux États les terres des grandes et moyennes propriétés d’élevage de bétail et d’agro-industrie qui déforestent, e) renforcer les zones protégées et en créer de nouvelles dans le cadre d’une gestion partagée avec les populations autochtones, f) sanctionner les entités financières publiques et privées, nationales et internationales, qui financent des projets de déforestation, g) établir des interdictions dans les réglementations nationales sur l’exportation et l’importation de produits issus de la déforestation, et h) promouvoir des pratiques qui réduisent et éliminent l’utilisation du feu dans les activités agricoles.
- Promouvons la souveraineté alimentaire et l’agroécologie pour refroidir la planète, sauvegarder les centres d’origine, la domestication et la diversité des aliments et des médicaments traditionnels afin de nous nourrir sainement sans dégrader ou polluer davantage les sols, l’eau, la biodiversité et la nature. Renforçons la consommation d’aliments locaux et diversifiés, exempts de pesticides et de semences transgéniques, produits par les paysans, les agriculteurs familiaux et les communautés indigènes. Arrêtons l’expansion de la frontière agricole, en particulier l’élevage de bétail, la palme africaine, le soja, le maïs, la canne à sucre, les biocarburants et autres monocultures d’entreprise, et démantelons les chaînes alimentaires contrôlées par les sociétés transnationales qui amassent des fortunes colossales en réchauffant la planète.
- Mettre en œuvre une transition énergétique juste, populaire et respectueuse de la nature vers et pour la souveraineté énergétique : a) garantissons le droit humain et populaire à l’énergie, b) redimensionnons et redistribuons équitablement la consommation d’énergie, c) démantelons la logique du monopole commercial et énergétique au service des transnationales, d) inversons la logique extractiviste et productiviste qui consiste à produire toujours plus d’énergie pour une croissance insoutenable de la production de marchandises, e) promouvoir la participation et le contrôle social dans la gestion démocratique de l’énergie, et f) promouvoir les transports publics basés sur des énergies alternatives et ne pas tomber dans l’illusion que nous pouvons faire face à la crise climatique avec des voitures électriques individuelles qui déclenchent de nouveaux processus d’extractivisme minier ou d’agrocarburants, et g) arrêter la construction de nouveaux mégaprojets et d’infrastructures émettrices. La transition énergétique doit réparer les dommages du passé et garantir les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés à l’avenir, en abordant le passage nécessaire d’une économie extractive à une société sans danger pour le climat, afin de renforcer le pouvoir économique et politique d’une économie régénératrice.
- Rejeter les fausses solutions climatiques et les mécanismes de flexibilisation, de marchandisation et de compensation tels que les certificats de compensation du carbone et de la biodiversité. Les mécanismes de financiarisation des mal nommés «services environnementaux» de la nature, tels que l’initiative REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) cherchent à générer de nouvelles sources de profit spéculatif pour un capitalisme en crise et, loin de rafraîchir la planète, génèrent des conflits au sein des populations indigènes et traditionnelles, enrichissent les intermédiaires sur les marchés du carbone et établissent des mécanismes pour échapper aux engagements de réduction obligatoires des pays et des entreprises polluants, violant ainsi les droits de l’homme et les droits de la nature. Les peuples autochtones et les communautés qui conservent et protègent les forêts et la nature doivent disposer de mécanismes de soutien économique direct de la part des États et des organisations internationales, qui ne dépendent pas des marchés spéculatifs du climat, de l’eau et de la biodiversité. Nous rejetons également les fausses solutions technologiques que sont la géoingénierie de la planète, le stockage et la séquestration du carbone, la transgénèse, l’édition de gènes et autres.
- Luttons pour éliminer les budgets consacrés au militarisme et à la guerre, et affectons ces ressources à l’amélioration de la situation des pays les plus touchés par le changement climatique. Affectons les billions de dollars consommés dans la course aux armements pour : a) prévenir l’escalade des catastrophes socio-environnementales et soulager la situation des millions de réfugiés climatiques, b) renforcer la transition des espaces urbains et des méga-métropoles qui sont ingérables dans des contextes d’effondrement climatique, et c) renforcer les actions des peuples indigènes, des paysans et des communautés qui préservent nos forêts, notre eau, nos semences et la nature, en adoptant des politiques publiques pour soutenir les gardiens des biens communs. Annulons la dette extérieure des pays touchés par la crise climatique, afin d’allouer ces ressources sous contrôle social pour faire face aux urgences climatiques. Toute aide financière doit se faire en dehors des mécanismes de la dette, de l’émission de certificats de compensation en équivalent carbone, des transferts de technologie et des investissements qui sont anti-environnementaux et qui aggravent les crises environnementales. Les pouvoirs et les élites des pays doivent payer la dette écologique et climatique qu’ils ont envers les peuples du monde.
- Dépatriarcalisons nos sociétés en garantissant les droits des femmes et en empêchant la masculinisation des dynamiques éco-sociales. Non au mandat d’exploitation et de conquête. Nous voulons des vies libérées de la violence féminicide, épistémicide, écocidaire, génocidaire et criminelle. Nous exigeons des territoires dépatriarcalisés où la vie peut être maintenue. Nous réaffirmons que la solution à l’effondrement climatique n’est possible qu’en promouvant des modèles de vie durables qui encouragent une vie simple et frugale, basée sur le soin des autres et de la Nature, et en décourageant la production et la consommation de luxe de biens périssables non durables et la surproduction de produits manufacturés qui menacent la survie de la vie sur la planète, et dépassent les limites de la planète Terre.
- Arrêter l’avancée des néo-fascismes qui encouragent les guerres contre les peuples et la nature. Arrêtons le négationnisme climatique. Luttons pour la paix comme condition «sans condition» pour faire face à la crise climatique, et transformons les régimes de gouvernance actuels en véritables démocraties participatives, exemptes de manipulation, de corruption, de prébendalisme et de soumission à toute puissance étrangère. Défendons la pleine protection, la liberté de mouvement et les droits civils, politiques et économiques des migrants. C’est dans notre unité et notre organisation que réside la force d’arrêter l’écocide, l’ethnocide, le génocide et le terricide.
- Construisons des sociétés dans lesquelles le souci de la vie est au centre. Garantissons les droits de la nature à exister, à maintenir ses cycles de vie, à vivre sans pollution, à son identité, à se régénérer, à être représentée dans nos systèmes de gouvernance démocratique, et à exiger justice et réparation. Intégrons les économies de soins dans la vie quotidienne, avec une responsabilité partagée entre les personnes, indépendamment de leur identité de genre, à la fois au sein des ménages et dans la société.
- Promouvoir une nouvelle intégration mondiale au service des personnes et de la nature, basée sur un multilatéralisme ascendant qui inclut, en plus de la représentation des États, une représentation des personnes et de la nature dotée de moyens d’action. Mettre en place des mécanismes de gouvernance nationale, régionale et internationale afin que les engagements à adopter soient effectivement respectés sous le contrôle social de leurs peuples. En ce sens, la proposition d’un traité amazonien visant à rétablir le cycle de l’eau dans ce bassin est un appel à réfléchir à un nouveau type d’intégration non anthropocentrique par le bas.
Nous appelons à construire à partir de nos territoires, de nos luttes et de nos alternatives cet Accord Systémique pour faire face à la crise climatique et écologique, en profitant de différents moments tels que la COP 16 sur la biodiversité biologique en Colombie, le G20 au Brésil, le Sommet des Peuples à Belem et d’autres. Nous sommes convaincus que l’objectif fondamental de cet appel est de susciter une escalade d’actions dans tous les coins de la planète pour aller vers un changement du système capitaliste et non du climat.
Rurrenabaque et San Buenaventura, Bolivie, 15 juin 2024
